Mardi 23 mai, suite à l’attaque de la ville de Marawi par des combattants armés du groupe islamiste Maute, ayant prêté allégeance à l’organisation Etat islamique, le président Duterte a pris la décision d’instaurer la loi martiale. Cette mesure s’applique à la totalité de l’île de Mindanao, pour une durée de soixante jours. Alors que l’opinion publique se divise quant à la nécessité de mettre en place cette mesure, les évêques de Mindanao apportent un soutien mesuré à la décision du président de la République des Philippines.
Dans une déclaration signée par l’archevêque de Cotabotao, Mgr Orlando Quevedo, les évêques de Mindanao font état des « peurs » et de leurs préoccupations face à la nécessité et à l’efficacité de la loi martiale mise en place par Rodrigo Duterte. Soulignant que la loi martiale constitue « un moyen de dernier recours [qui] rappelle les horreurs d’une dictature passée », les évêques condamnent « le terrorisme sous toutes ses formes » et apportent un timide soutien à la décision présidentielle : « A l’heure actuelle, nous n’avons tout simplement pas de faits solides et suffisants pour rejeter complètement la déclaration de la loi martiale comme moralement répréhensible. » Cette déclaration ne constitue pas un blanc-seing pour le président Duterte : l’épiscopat insiste sur le caractère nécessairement « temporaire » de cette mesure et assure qu’il n’hésitera pas à « condamner tout abus ». Cette déclaration a été publiée sur le site d’information de la Conférence épiscopale des Philippines, CBCP News.
« La loi martiale doit être temporaire »
Interrogé par Ucanews, Mgr Jose Collin Bagaforo, évêque de Kidapawan, déplore que la mesure ait été étendue « à toute l’île de Mindanao », et n’ait pas été circonscrite à la ville de Marawi et à ses alentours. Dans un pays de 100 millions d’habitants, Mindanao, peuplée de près de 20 millions d’habitants, composée de vingt-sept provinces et trente-trois villes, constitue la deuxième île du pays. Marawi, capitale de la province de la Lanao del Sur, est une ville de 200 000 habitants.
Ce soutien mesuré des évêques de Mindanao intervient alors que depuis l’arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte, le 30 juin 2016, les relations sont tendues entre l’Etat et l’Eglise catholique. Les motifs de désaccord sont de plus en plus nombreux : guerre antidrogue meurtrière, projet de loi pour rétablir la peine de mort, soutien à l’inhumation de l’ancien dictateur Marcos, sans compter les dérages verbaux présidentiels.
Cette prise de position ne fait pas l’unanimité au sein de l’Eglise catholique. Le P. Antonio Moreno, supérieur provincial des jésuites aux Philippines, a rappelé que la loi martiale constitue « un danger, un motif de tristesse, et une source de préoccupations ». Le P. Amado Picardal, responsable des communautés ecclésiales de base au sein de la Conférence épiscopale, a déclaré que l’application de la loi martiale à toute l’île de Mindanao, alors que les combats ne concernent que la ville de Marawi, n’était qu’un « prétexte pour mettre en place un contrôle dictatorial ».
Vers un contrôle dictatorial ?
Aux Philippines, la loi martiale est de funeste mémoire tant elle évoque le règne du dictateur Ferdinand Marcos (1972-1981). Durant la loi martiale (1972-1981), plus de 30 000 personnes ont subi des exactions, selon les historiens. Le régime est accusé d’être à l’origine du meurtre d’au moins 3 000 personnes. A l’étranger, plusieurs décisions judiciaires ont été prises pour sanctionner la corruption du régime Marcos. La Cour suprême de Singapour et celle de la Suisse ont ainsi chacune statué que les 683 millions de dollars déposés par les époux Marcos sur des comptes bancaires suisses provenaient de fonds mal acquis.
La décision de Rodrigo Duterte instaurant la loi martiale rappelle que le président avait déjà dû mettre en place l’état d’urgence, le 4 septembre dernier, dans l’ensemble de l’archipel, notamment en raison des violences perpétrées par les combattants de l’organisation terroriste Maute. Le 3 septembre, un attentat à la bombe avait fait 14 morts et 70 blessés dans un marché de nuit, à Davao, la principale ville de Mindanao ; cette attaque avait été imputée au groupe Abu Sayyaf, une autre organisation islamiste affirmant son allégeance à Daech. L’Eglise catholique s’était alors inquiétée et avait mis en garde contre le risque d’abus et de dérive ultra-sécuritaire.
La loi martiale est censée s’appliquer pour soixante jours, sur toute l’île de Mindanao. L’article VII, section 18, de la Constitution de 1987, adoptée au lendemain de l’exil du président Marcos, a limité la durée d’application de la loi martiale à l’initiative du seul président de la République à soixante jours. Pour prolonger cette mesure au-delà de ce délai, le soutien du Parlement est requis. Pour autant, le président Duterte a déclaré qu’il « n’hésiter[ait] pas à faire ce qui est nécessaire pour défendre et préserver les Philippines » et, si besoin, à étendre la loi martiale à tout le pays et à prolonger sa durée au-delà du délai constitutionnel.
Dans le sud des Philippines, une guérilla ancienne et meurtrière
Originaire de Mindanao, maire durant plus de vingt ans de Davao, le président Duterte avait fait de la paix dans la grande île du sud de l’archipel, une de ses principales promesses électorales. Dans le Bangsamoro, région située au centre-ouest de Mindanao et constituée des cinq provinces à majorité musulmane (Basilan, Lanao del Sur, Maguindanao, les archipels de Sulu et Tawi-Tawi), la guérilla séparatiste est devenue l’une des guérillas les plus meurtrières d’Asie du Sud-Est, avec plus de 150 000 morts en cinquante ans. Le président avait tenté de relancer le processus de paix en novembre 2016, alors que l’accord de paix, signé en mars 2014 avec la rébellion musulmane, prévoyant la création d’une région semi-autonome, n’avait jamais vu le jour, faute de ratification par le Congrès philippin.
Le procureur général, Jose Calida, a tenu à rassurer la population en déclarant que les « citoyens respectueux des lois » n’avaient rien à craindre. A Marawi, la population a cherché à fuir les zones de combats et a gagné les centres d’accueil et les villes voisines. Près de 2 000 civils sont cependant toujours retenus dans la ville, à la merci des violents combats qui opposent militaires philippins et combattants du groupe Maute.
Mardi 30 mai, une vidéo du P. Teresito Suganob, kidnappé le 23 mai dernier à Marawi, a été diffusée sur les réseaux sociaux. Le P. Suganob indique être retenu avec 240 « prisonniers de guerre » et implore le président Duterte de retirer ses troupes de la ville de Marawi. Mgr Edwin de la Pena, évêque de la prélature territoriale de Marawi, a refusé de commenter cette vidéo ; il a néanmoins indiqué avoir reçu un appel des preneurs d’otages, sollicitant un « cessez-le-feu unilatéral ». Les autorités civiles et militaires ont déclaré refuser toute négociation, et Mgr de la Pena redoute que les otages ne soient utilisés comme boucliers humains. L’Eglise catholique aux Philippines appelle à prier pour les victimes et pour la sécurité des personnes kidnappées. Ces dernières heures, l’armée a gagné du terrain : les combattants du groupe Maute ne contrôlent plus qu’un réduit de six quartiers sur les 96 que compte la ville de Marawi. (eda/pm)
(Source: Eglises d'Asie, le 30 mai 2017)
Dans une déclaration signée par l’archevêque de Cotabotao, Mgr Orlando Quevedo, les évêques de Mindanao font état des « peurs » et de leurs préoccupations face à la nécessité et à l’efficacité de la loi martiale mise en place par Rodrigo Duterte. Soulignant que la loi martiale constitue « un moyen de dernier recours [qui] rappelle les horreurs d’une dictature passée », les évêques condamnent « le terrorisme sous toutes ses formes » et apportent un timide soutien à la décision présidentielle : « A l’heure actuelle, nous n’avons tout simplement pas de faits solides et suffisants pour rejeter complètement la déclaration de la loi martiale comme moralement répréhensible. » Cette déclaration ne constitue pas un blanc-seing pour le président Duterte : l’épiscopat insiste sur le caractère nécessairement « temporaire » de cette mesure et assure qu’il n’hésitera pas à « condamner tout abus ». Cette déclaration a été publiée sur le site d’information de la Conférence épiscopale des Philippines, CBCP News.
« La loi martiale doit être temporaire »
Interrogé par Ucanews, Mgr Jose Collin Bagaforo, évêque de Kidapawan, déplore que la mesure ait été étendue « à toute l’île de Mindanao », et n’ait pas été circonscrite à la ville de Marawi et à ses alentours. Dans un pays de 100 millions d’habitants, Mindanao, peuplée de près de 20 millions d’habitants, composée de vingt-sept provinces et trente-trois villes, constitue la deuxième île du pays. Marawi, capitale de la province de la Lanao del Sur, est une ville de 200 000 habitants.
Ce soutien mesuré des évêques de Mindanao intervient alors que depuis l’arrivée au pouvoir du président Rodrigo Duterte, le 30 juin 2016, les relations sont tendues entre l’Etat et l’Eglise catholique. Les motifs de désaccord sont de plus en plus nombreux : guerre antidrogue meurtrière, projet de loi pour rétablir la peine de mort, soutien à l’inhumation de l’ancien dictateur Marcos, sans compter les dérages verbaux présidentiels.
Cette prise de position ne fait pas l’unanimité au sein de l’Eglise catholique. Le P. Antonio Moreno, supérieur provincial des jésuites aux Philippines, a rappelé que la loi martiale constitue « un danger, un motif de tristesse, et une source de préoccupations ». Le P. Amado Picardal, responsable des communautés ecclésiales de base au sein de la Conférence épiscopale, a déclaré que l’application de la loi martiale à toute l’île de Mindanao, alors que les combats ne concernent que la ville de Marawi, n’était qu’un « prétexte pour mettre en place un contrôle dictatorial ».
Vers un contrôle dictatorial ?
Aux Philippines, la loi martiale est de funeste mémoire tant elle évoque le règne du dictateur Ferdinand Marcos (1972-1981). Durant la loi martiale (1972-1981), plus de 30 000 personnes ont subi des exactions, selon les historiens. Le régime est accusé d’être à l’origine du meurtre d’au moins 3 000 personnes. A l’étranger, plusieurs décisions judiciaires ont été prises pour sanctionner la corruption du régime Marcos. La Cour suprême de Singapour et celle de la Suisse ont ainsi chacune statué que les 683 millions de dollars déposés par les époux Marcos sur des comptes bancaires suisses provenaient de fonds mal acquis.
La décision de Rodrigo Duterte instaurant la loi martiale rappelle que le président avait déjà dû mettre en place l’état d’urgence, le 4 septembre dernier, dans l’ensemble de l’archipel, notamment en raison des violences perpétrées par les combattants de l’organisation terroriste Maute. Le 3 septembre, un attentat à la bombe avait fait 14 morts et 70 blessés dans un marché de nuit, à Davao, la principale ville de Mindanao ; cette attaque avait été imputée au groupe Abu Sayyaf, une autre organisation islamiste affirmant son allégeance à Daech. L’Eglise catholique s’était alors inquiétée et avait mis en garde contre le risque d’abus et de dérive ultra-sécuritaire.
La loi martiale est censée s’appliquer pour soixante jours, sur toute l’île de Mindanao. L’article VII, section 18, de la Constitution de 1987, adoptée au lendemain de l’exil du président Marcos, a limité la durée d’application de la loi martiale à l’initiative du seul président de la République à soixante jours. Pour prolonger cette mesure au-delà de ce délai, le soutien du Parlement est requis. Pour autant, le président Duterte a déclaré qu’il « n’hésiter[ait] pas à faire ce qui est nécessaire pour défendre et préserver les Philippines » et, si besoin, à étendre la loi martiale à tout le pays et à prolonger sa durée au-delà du délai constitutionnel.
Dans le sud des Philippines, une guérilla ancienne et meurtrière
Originaire de Mindanao, maire durant plus de vingt ans de Davao, le président Duterte avait fait de la paix dans la grande île du sud de l’archipel, une de ses principales promesses électorales. Dans le Bangsamoro, région située au centre-ouest de Mindanao et constituée des cinq provinces à majorité musulmane (Basilan, Lanao del Sur, Maguindanao, les archipels de Sulu et Tawi-Tawi), la guérilla séparatiste est devenue l’une des guérillas les plus meurtrières d’Asie du Sud-Est, avec plus de 150 000 morts en cinquante ans. Le président avait tenté de relancer le processus de paix en novembre 2016, alors que l’accord de paix, signé en mars 2014 avec la rébellion musulmane, prévoyant la création d’une région semi-autonome, n’avait jamais vu le jour, faute de ratification par le Congrès philippin.
Le procureur général, Jose Calida, a tenu à rassurer la population en déclarant que les « citoyens respectueux des lois » n’avaient rien à craindre. A Marawi, la population a cherché à fuir les zones de combats et a gagné les centres d’accueil et les villes voisines. Près de 2 000 civils sont cependant toujours retenus dans la ville, à la merci des violents combats qui opposent militaires philippins et combattants du groupe Maute.
Mardi 30 mai, une vidéo du P. Teresito Suganob, kidnappé le 23 mai dernier à Marawi, a été diffusée sur les réseaux sociaux. Le P. Suganob indique être retenu avec 240 « prisonniers de guerre » et implore le président Duterte de retirer ses troupes de la ville de Marawi. Mgr Edwin de la Pena, évêque de la prélature territoriale de Marawi, a refusé de commenter cette vidéo ; il a néanmoins indiqué avoir reçu un appel des preneurs d’otages, sollicitant un « cessez-le-feu unilatéral ». Les autorités civiles et militaires ont déclaré refuser toute négociation, et Mgr de la Pena redoute que les otages ne soient utilisés comme boucliers humains. L’Eglise catholique aux Philippines appelle à prier pour les victimes et pour la sécurité des personnes kidnappées. Ces dernières heures, l’armée a gagné du terrain : les combattants du groupe Maute ne contrôlent plus qu’un réduit de six quartiers sur les 96 que compte la ville de Marawi. (eda/pm)
(Source: Eglises d'Asie, le 30 mai 2017)